PubGazetteHaiti202005

L’homme des 12 mesures est de retour, certes !  Cependant, à quand l’application de ces mesures ?

Wilfrid GILLES

L’éducation en Haïti se définit comme nationale et affirme vouloir contribuer à la cohésion sociale et à l’harmonisation du jeune haïtien avec son lieu de vie. Ne s’agit-il pas d’un vœu pieux ? Ne sommes-nous pas face à ce qui relève de l’utopie dans la mesure où, la difficulté vient du fait que le système éducatif haïtien, lui-même, souffre d’un déficit flagrant de cohérence. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas connecté à l’environnement culturel, social et économique.

Il a fallu attendre l’arrivée, en 2014, de Monsieur Nesmy Manigat, Ministre de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle, pour annoncer les douze mesures visant à contourner les mauvaises pratiques « en vigueur » dans le système éducatif haïtien en matière de la formation initiale et continue des enseignants.
Suite à la publication des douze mesures, la non-qualification d’environ 70% de nos enseignants et nos habitudes de penser et d’agir sont remises en cause. Puisque un enseignement effectif nécessite des enseignants qualifiés, si l’on veut changer la pratique en cours, il faut, absolument, mettre en application ces douze mesures. Il faut se pencher, sérieusement, sur la problématique de la formation du personnel enseignant à travers un vaste programme de formation des formateurs ciblé et différencié tout en tenant compte des niveaux de formation initiale.
Dans un domaine aussi stratégique qui s’occupe de la transmission des savoirs, il s’avère crucial que les formateurs soient eux-mêmes formés et que cette formation soit surtout connectée à un profil concordant à la politique éducative du Ministère de l’Education nationale, en vue d’un système éducatif solide.

Selon le rapport du Groupe de Travail sur l’Education et la Formation (GTEF), plus de 85% des enseignants de l’école fondamentale ne possèdent pas les qualifications requises pour enseigner.

Après une analyse exhaustive, il s’avère que les douze mesures ne constituent pas une reforme éducative mais une innovation dans le système qui, de surcroît, n’est même pas maintenue à 25%. De 2014 à ce jour, il est à noter que seulement les 3ème et 4ème mesures sont respectées. Les autres sont carrément banalisées. A quand, donc, Monsieur le Ministre, l’application de ces mesures ?

La réforme est une notion étatique et globalisante. Autrement dit, c’est une transformation d’ensemble tandis que l’innovation est un processus long, imprévisible et peu contrôlable. Au niveau de l’école publique, l’administration scolaire est mal organisée et presque inexistante. Les écoles publiques sont des entités « indépendantes » disparates, abandonnées à elles-mêmes. Le mobilier, le matériel, les équipements et les locaux scolaires ne sont protégés, et apparemment, aucune disposition n’est de rigueur pour les conserver ni par l’administration centrale ni par les directions d’écoles.

Les établissements d’enseignement privé continuent de pousser, du jour au lendemain, comme des champignons autour d’un marécage. Elles abondent à Port-au-Prince comme dans les villes de province.
En réalité, ces douze mesures ne sont donc, pas une réforme mais plutôt une innovation tentée car, une réforme a pour fonction d’améliorer l’adéquation d’un système aux besoins de ses membres. D’où la nécessité de comprendre les écarts entre le système et les besoins de ses membres.
Appliquées effectivement, ces mesures apporteraient un atout au bon fonctionnement du système. Malheureusement, aucun suivi n’a été fait après le départ de Monsieur Nesmy Manigat comme Ministre de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP). Voilà que 7 ans après son passage à la tête du Ministère, il y est de retour, comme ministre, et fonctionne sans l’application de ses 12 mesures.
La Constitution de la République d’Haïti du 29 mars 1987. Section F de l’Éducation et de l’Enseignement en ses Articles 32, 32-1, 32-2, et 32-3.

La Constitution de 1987 d’Haïti en son article 32-1, stipule que l’éducation est une charge de l’Etat et des Collectivité Territoriales. Ils doivent mettre l’École gratuitement à la portée de tous et veiller au niveau de formation des enseignants des secteurs Publics et Privés.
Dans le secteur public, en règle générale, c’est le  MENFP qui nomme les enseignants et les autres cadres administratifs. Parmi ceux-ci, on compte au moins 30% de normaliens, d’éducateurs et universitaires. Et, le principe de formation continue et de recyclage des enseignants est presque inexistant. Le secteur privé de l’éducation, lui, jouit d’une grande liberté de fonctionnement. Pour la majorité de ces écoles, les inscriptions des élèves  et les recrutements des enseignants se font en dehors du cadre réglementaire prévu par le code de l’éducation nationale pour leur recrutement et leur formation, même si ce secteur comprend aussi un très faible pourcentage de normaliens et d’éducateurs confirmés. Faute de structures publiques, il est à noter que les résultats scolaires du privé demeurent, jusqu'à date, les meilleurs.
Du point de vue institutionnel, la Constitution garantit la gratuité de l’école fondamentale, et plusieurs décrets renforcent l’arrêté du 1er octobre 1980 fixant le statut particulier du personnel enseignant de l’Ecole Fondamentale. Nos lois et décrets-lois sont fort pertinents et judicieux. Toutefois, en dépit des dispositions des lois ou des textes légaux et décrets lois sur l’éducation en plus de son coût considérable, l’école haïtienne contient encore, pour le moins, 70% d’enseignants non qualifiés.

Durant ces cinquante dernières années, la Réforme Bernard de 1982, du nom du ministre de l’éducation d’alors, le Plan National d’Education et de Formation (PNEF) de 1997, le Programme de Scolarisation Universelle, Gratuite et Obligatoire (PSUGO) d’octobre 2012, témoignent tous de cette velléité continue d’un enseignement universel de qualité pour satisfaire les attentes de la société et contribuer au développement, selon les Objectifs de Développement durable des Nations unies.

On assiste à l’incapacité de l’État à utiliser ces leviers indispensables pour relever les nombreux défis auquel fait face le système éducatif haïtien, dans son ensemble incluant la qualité du personnel enseignant et le développement incontrôlé du secteur de l’éducation privée au regard de la constitution haïtienne. La massification de l’école privée, observée durant ces dernières années est due, d’avantage, de surcroît, à l’obsession des parents d’assurer la scolarisation comme seul moyen de sortir leurs enfants du cercle infernal de la pauvreté qu’a l’action systémique de l’Etat. La pression de la demande et le laissez-faire des gouvernements successifs ont abouti à ce qu’on a appelé, à juste titre, une scolarité de basse intensité, avec la prolifération d’écoles et d’universités  dites « borlette » qui ne correspondent, en aucune façon, aux requis minimum exigés par la constitution haïtienne dans la Section F de l’Éducation et de l’Enseignement, en ses Articles 32, 32-1, 32-2, et 32-3.

En somme, vu la situation difficile dans laquelle se trouve le système éducatif haïtien, nous pouvons dire que les pratiques qui y sont exercées sont nettement différentes des textes de lois réglementant ledit système.

Ceci est un appel à l’action ! Nous demandons à toutes les autorités compétentes en matière d’éducation de prendre toutes les mesures nécessaires pour contrôler le bon fonctionnement du système éducatif, notamment, en termes de formation initiale et continue des enseignants en vue de rehausser l’image de l’éducation haïtienne.
Un noble objectif à atteindre !
 
 

Par: Wilfrid GILLES, Spécialiste en éducation  Professeur d’Université

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